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« Saisissez la crise pour être solidaire de vos salariés et fournisseurs » – notre tribune dans Le Parisien

« Saisissez la crise pour être solidaire de vos salariés et fournisseurs » – notre tribune dans Le Parisien

Tribune sur Coronavirus et Entreprises, Getz & MarbacherNous avons publié une tribune « Saisissez la crise pour être solidaire de vos salariés et fournisseurs » dans Le Parisien le 22 mars 2020.

Ci-dessous vous pouvez lire sa version longue.

 

Face à la crise, des entreprises réinventent la solidarité et le capitalisme

Isaac Getz et Laurent Marbacher, co-auteurs de L’entreprise altruiste (Albin Michel)

 

Face à la crise du coronavirus, Emmanuel Macron a appelé à inventer « de nouvelles solidarités », tandis que Bruno Lemaire— à « inventer un nouveau capitalisme.» Il existe pourtant des entreprises qui agissent dans cet esprit depuis des décennies. Loin des  incantations, elles l’ont prouvé par leurs actes et les crises leur donne l’occasion de le démontrer encore davantage. Nous l’avons constaté dans des dizaines de cas, de toute taille et tout secteur et nous continuons de le faire.

Il y a quelques jours, par exemple, le directeur industriel d’une grand groupe nous a dit  comment il a agi face au coronavirus : « J’ai dit à tous mes fournisseurs : “Nous allons affronter ça ensemble. On partage tout !” »  Ce dirigeant aurait pu répercuter totalement la baisse de 15% de ses commandes sur ses fournisseurs.  La moitié de ses ingrédients étant produits à l’extérieur et l’autre moitié des mêmes ingrédients étant fabriqués en interne, il eut été parfaitement légitime de baisser le niveau de ses commandes auprès des fournisseurs de 30% et de 0% dans ses usines. Mais il a préféré partager le fardeau à part égale, en abaissant ses commandes externes et sa propre production dans la même proportion.  Ses fournisseurs s’en souviendront.

Vous vous dites peut être que ce cas ne vous concerne pas, puisque vous ne produisez pas vous-mêmes de composants identiques à ceux que fabriquent vos fournisseurs. Mais comment agissez-vous avec eux ? Vous arrive-t-il de leur annoncer que vous n’allez pas respecter vos contrats d’achats et que c’est à eux de se débrouiller ?  Ou bien leur montrez-vous, —comme l’a fait ce directeur industriel— que vous les voyez comme de vrais partenaires et que vous ne les laissez pas tomber quand les temps sont durs ? Comme nous l’a dit Didier Leroy, n°3 actuel de Toyota, « le problème du fournisseur n’est pas son problème : c’est le nôtre. » Il se peut d’ailleurs que vos fournisseurs, —devenus aujourd’hui, grâce à votre action solidaire passée, d’authentiques partenaires— vous prêtent déjà main forte pour résoudre vos problèmes en période de crise et sans rien demander en retour.

« Le problème du fournisseur n’est pas son problème : c’est le nôtre »

Comme avec le COVID-19 aujourd’hui, la crise de 2009 avait frappé aussi de plein fouet le secteur du tourisme. L’entreprise finlandaise SOL, n°2 du pays dans le secteur des services de nettoyage, comptait parmi ses clients les hôtels et les paquebots. Dès les premiers signaux du ralentissement de l’activité, SOL leur a proposé de diminuer ses prix de 10% — prix pourtant fixés par contrat. Elle a ainsi créé une poche de respiration pour ces entreprises qui s’étaient vite retrouvées face à de grandes difficultés de trésorerie. Elles s’en sont souvenu.

Il se peut toutefois que votre inquiétude principale ne concerne pas vos fournisseurs mais vos clients. Ils vous lâchent et ne peuvent rien pour vous. Mais peut-être que vous pourriez faire quelque chose pour eux ? Comme cette compagnie aérienne qui, suite à la crise du coronavirus, vient d’envoyer un mail à tous ses clients pour dire qu’ils peuvent changer leur voyage du mois de mars pour n’importe quelle date dans les 12 mois à venir et pour n’importe quelle destination, et ce quelles que soient les conditions de leur billet. Ainsi, cette compagnie ne fait pas subir à ses clients les frais d’annulation, surtout ceux qui ont acheté un billet non-remboursable. Le résultat ? Plutôt que d’annuler purement et simplement leur voyage, beaucoup vont changer leur billet pour un autre voyage, qu’ils ont prévu mais pas encore commandé dans les 12 mois à venir. Ils resteront fidèles à leur compagnie. Et ils s’en souviendront.

Et pourquoi pas agir pour la société toute entière, pour le bien commun ? C’est ce qu’a fait ces jours-ci une PME de la Loire, les Tissages de Charlieu (LTC). Elle a mis au point un masque professionnel en tissu lavable, a lancé sa production au rythme de 7j. x 24h. et va rendre publiques les informations sur ce modèle pour que d’autres industriels puissent le fabriquer à leur tour. Leurs clients, et même leurs concurrents, s’en souviendront mais pas pour les mêmes raisons. En effet, LTC fabriquait des tissus pour l’habillement, le sport et les usages techniques. Ainsi, avant de se lancer dans la production de masques, le PDG Eric Boël s’est assuré de l’accord de chacun d’eux, d’arrêter temporairement la livraison de leurs produits. Tous ont accepté. Et tous se souviendront de ce sacrifice commun pour le bien commun, tous ces professionnels de santé qui manquent de protection.

La banque étant la plus admirée du pays

Mais, votre entreprise peut aussi affronter le cas d’un manque à l’échelle d’un pays entier. C’est ce qui s’est produit en 2009 en Suède—et partout ailleurs—avec les banques. Toutes ont « fermé le robinet » pour leurs clients PME en panne de trésorerie ou les particuliers incapables de faire face à leurs payements. Toutes, sauf une : Handelsbanken. Au contraire, plutôt que de restreindre ses prêts aux acteurs économiques et aux familles au moment où ils en avaient le plus besoin, cette banque les a augmentés. Handelsbanken a pu le faire car, depuis cinq décennies, elle considère que ses conseillers bancaires doivent agir un peu comme des médecins, à ceci près qu’ils n’agissent pas pour la santé physique mais qu’ils font tout pour la santé financière de leurs clients. Handelsbanken était aussi la seule banque qui n’a pas eu recours à l’argent proposé par l’Etat suédois lors de cette crise. Son PDG Anders Bouvin nous a expliqué que quand « toutes les banques se retrouvent en “’unité de soins intensifs” [aux mains d’] actionnaires ou de l’État – nous revenons… Nous voulons être un bien pour la société – pas un fardeau. » Rares sont les personnes qui diront que les médecins sont un fardeau pour la société et non pas un bien. Les banquiers de Handelsbanken, aussi surprenant que cela puisse sonner à nos oreilles, prennent soin de la société. Les clients et la Suède s’en sont souvenu, la banque étant la plus admirée du pays depuis 7 ans. Autrement dit, les Suédois applaudissent les conseillers de Handelsbanken, comme les Français le font aujourd’hui chaque soir pour les professionnels de santé.

Dernier point : les salariés. Pendant les crises, les entreprises peuvent les traiter comme une variable d’ajustement, une ressource (humaine) ou, au contraire, comme des êtres humains. En 2009 encore, comme tous les industriels de sa région, SEW-Usocome, une grosse PME industrielle du Nord de l’Alsace, a subi une baisse drastique de ses commandes : 10% en septembre 2008, qui s’est stabilisée à moins 30% en mai 2009. Mais à la différence d’autres industriels, SEW-Usocome fut la seule à ne pas procéder à des licenciements, ni même à du chômage partiel. Au contraire, ses dirigeants ont pris une série d’engagements, comme par exemple de ne considérer le chômage partiel que comme la mesure ultime, à ne déclencher que si la baisse des commandes dépasse 30%, et de commencer toute baisse de salaire éventuelle par les dirigeants, les managers et les commerciaux. De grands panneaux ont été installés dans les ateliers, indiquant le niveau du carnet de commandes par rapport à l’année précédente. Son DG à l’époque, Michel Munzenhutter, a promis que tout se ferait dans un esprit de solidarité. Il a donc demandé qu’on fasse un plan d’économie de 14 millions d’euros, et que l’on vive sur l’essentiel. Grâce à de nombreuses initiatives des salariés, l’objectif a été atteint. Dès juillet 2009, l’équilibre financier de l’entreprise était assuré et fin janvier 2010, chaque salarié a touché une prime, alors même que l’entreprise était encore à moins 28% de commandes par rapport à la même période de l’année précédente. Les salariés s’en sont souvenu.

« Plie, et ne rompt pas »

Tous ces exemples de la crise du coronavirus et de celle de 2009 peuvent apparaître comme de la philanthropie, mais il n’en est rien. Ces entreprises ne font pas de dons. Elles agissent solidairement pour le bien des autres—leurs interlocuteurs économiques et leurs salariés—à travers leurs activités de cœur de métier, activités qu’elles ont transformées pour servir les autres plutôt qu’elles-mêmes. Étonnamment, ces entreprises s’en sortent mieux pendant la crise : elles ont réinventé le capitalisme dans les faits.  Étonnamment —mais on peut aussi dire naturellement, puisque leurs clients, leurs fournisseurs et leurs salariés se souviennent de ces faits. Plus encore, quand la crise se termine, ces entreprises sont entourées de vrais partenaires qui les soutiennent. Elles ne se retrouvent pas seules et à genoux. Beaucoup d’entreprises survivent aux crises mais ne parviennent plus à répondre à la demande quand elles se terminent, parce que nombre de leurs fournisseurs ont disparu et qu’une partie de leurs salariés a été licenciée.

Toute crise se termine—c’est le propre d’une crise. Face à la tempête, allez-vous être le chêne qui va se briser ou le roseau qui « plie, et ne rompt pas » ? Pascal a dit que les êtres humains sont des roseaux pensants— pensants et qui se souviennent. Plutôt que de faire l’économie de cette crise, allez-vous vous vous en saisir pour vous transformer et agir authentiquement pour vos clients, vos fournisseurs et vos salariés ? Si c’est le cas, ils s’en souviendront et ils seront là aussi pour vous aux heures difficiles.

Loi PACTE, l’entreprise altruiste et la transformation : Notre entretien dans la revue Lab’thazar

Loi PACTE, l’entreprise altruiste et la transformation : Notre entretien dans la revue Lab’thazar

L’entreprise altruiste : rechercher le bien commun permet de prospérer

Matthieu Biava : Nous parlons très souvent de la loi PACTE comme une loi fondamentale pour inciter les entreprises à penser et affirmer leur rôle au sein de la société : que peut-on en attendre ?

Isaac Getz : Je pense que c’est une évolution importante, la loi PACTE permettant à ceux qui le souhaitent d’avancer dans un cadre juridique clair. Cependant, les entreprises qui créent de la valeur sociale existent depuis des décennies. « Statut n’est pas vertu », autrement dit : le juridique ne peut pas changer la nature des activités cœur de métier de l’entreprise ; seule la transformation en profondeur peut le faire. C’est ce que nous avons pu observer avec Laurent Marbacher, pendant les cinq années au cours desquelles nous avons étudié des organisations que nous avons nommées entreprises altruistes. Sans un engagement de la part du numéro 1 pour que son entreprise ait pour seule finalité la création de valeur sociale, cette transformation ne pourra pas se faire. Chercher à poursuivre simultanément la recherche de valeurs sociale et économique conduit, malheureusement, à la subordination de la première à la seconde. Il suffit de comparer le rapport annuel économique consistant et épais avec le rapport social, qui est souvent moins consistant.

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L’altruisme, stade suprême du capitalisme : chronique de Bruno Jacquot dans le Figaro

L’altruisme, stade suprême du capitalisme : chronique de Bruno Jacquot dans le Figaro

Le Figaro Économie, 20 janvier 2020, p. 32

L’altruisme, stade suprême du capitalisme

Isaac Getz et Laurent Marbacher ont identifié une « espèce nouvelle » d’entreprises qui se mettent en quatre pour tous leurs interlocuteurs.

Bruno Jacquot

MANAGEMENT 

Un établissement financier suédois, Handelsbanken ; un laboratoire pharmaceutique japonais, Eisai ; une ETI agroalimentaire française, LSDH… Des sociétés très différentes, mais qui ont un point commun. Chacune, à sa manière, est une « entreprise altruiste », selon le titre de l’ouvrage d’Isaac Getz et Laurent Marbacher. L’un est professeur à l’ESCP et auteur de L’Entreprise libérée (Fayard) ; l’autre, consultant en innovation sociale. Explorateurs du monde du management, ils ont découvert une « « espèce » nouvelle », qu’ils nomment donc « entreprise altruiste ».

Sa caractéristique ? S’attacher à se mettre « inconditionnellement » au service de ses interlocuteurs – clients, fournisseurs, prestataires… « Concrètement, écrivent Getz et Marbacher, ces entreprises altruistes montrent que les profits ne doivent pas être nécessairement la finalité de l’entreprise mais qu’ils peuvent en devenir la conséquence. » Il ne s’agit donc pas de classique philanthropie ou d’un respect scrupuleux d’obligations légales de RSE. Il s’agit d’inscrire la création de valeur sociale dans la stratégie même de l’entreprise, avec la conviction que les profits suivront, in fine.

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Entretien sur l’entreprise altruiste par l’Usine Nouvelle

Entretien sur l’entreprise altruiste par l’Usine Nouvelle

Le 24 Octobre 2019, l’Usine Nouvelle publiait un entretien avec Isaac Getz et Laurent Marbacher autour de leur livre « L’entreprise altruiste ».

 

Comment est née l’idée de ce livre ?

I. Getz : Après avoir travaillé sur les entreprises libérées qui sont plutôt tournées vers l’intérieur—leurs salariés—, je cherchai un nouveau sujet de recherche. Je voulais des entreprises qui, à l’inverse, sont tournées radicalement vers leurs interlocuteurs externes. J’avais l’intuition qu’il y avait un sujet. Elle s’est vérifiée et peu à peu nous avons exploré et étudié comment fonctionnaient ces entreprises, comment elles se sont transformées, mais aussi comment leurs dirigeants se sont transformés.

Laurent Marbacher : Nous avons beaucoup discuté sur la nature de l’entreprise altruiste. Ce sont des organisations dont la philosophie est radicalement différente de celle qui domine dans l’entreprise traditionnelle, celle qui a le profit et la valeur pour l’actionnaire comme horizon. Toutes les entreprises altruistes que nous avons rencontrées ont en commun d’articuler toutes leurs activités de cœur de métier vers le bien commun et ce, de façon inconditionnelle. J’insiste sur ce dernier point. C’est un pari : en servant les autres, les dirigeants pensent qu’ils auront un résultat économique indirect.

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Chronique sur les entreprises altruistes dans Le Monde

Chronique sur les entreprises altruistes dans Le Monde

LE FÉDOU, OU LA NAISSANCE D’UN NOUVEAU CONCEPT : L’ENTREPRISE ALTRUISTE

Les activités de cœur de métier de ces entreprises servent la communauté locale et leurs fournisseurs de façon inconditionnelle, choix qui les rend prospères, explique Isaac Getz dans sa chronique.

 

Le Monde, le 25 octobre 2019

Selon un dicton local, en Lozère, les corbeaux volent sur le dos pour ne pas y voir la misère. C’est pourtant là, dans le village de Hyelzas sur le Grand Causse, que Florence Pratlong a créé en 1990 une fromagerie : Le Fédou. Son ambition est de lancer une activité économique qui aidera à prospérer ceux qui vivent sur ce territoire : agriculteurs, artisans, instituteurs, etc.

Historiquement, les producteurs de la région fournissent en lait les industriels du Roquefort. Florence Pratlong leur propose alors de travailler ensemble pour améliorer la qualité de leur lait, car elle en a besoin pour produire ses fromages très fins à pâte molle. En contrepartie de cette meilleure qualité, elle leur garantit un prix d’achat plus élevé. Son idée les séduit et la fromagerie grandit jusqu’à employer vingt salariés, livrant ses fromages partout en France. La commune aussi s’agrandit et passe de 180 à 330 habitants : un menuisier s’y installe, l’école primaire s’agrandit…

Jusqu’ici, rien ne semble vraiment altruiste dans cette histoire d’un industriel qui crée une affaire et qui persuade ses fournisseurs d’augmenter la qualité de leur matière première afin de valoriser ses produits. Cette success story ne va pourtant pas durer.

Un jour, un grave problème de contamination met à mal la production de tous les fromages à pâte molle. Seules les tommes résistent et permettent à la fromagerie de survivre. Cependant, les tommes sont vendues à un prix plus bas que les fromages à pâte molle. De ce fait, elles ne permettent pas à la fromagerie de rentabiliser le prix élevé du lait acheté à ses douze éleveurs de brebis. Inutile alors de voir le film Au nom de la terre pour imaginer une suite, dans laquelle seuls les agriculteurs vont faire les frais de la situation.

Vous pouvez lire le texte en entier ici.